Archives de juin, 2008

30 juin 2008

La vigne ne ment pas, elle se multiplie, nous dit ce mot découvert vers la fin du Discours sur la négritude* d’Aimé Césaire :

“Nous sommes de ceux qui refusent d’oublier.
Nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie même comme méthode.
Il ne s’agit ni d’intégrisme, ni de fondamentalisme, encore moins de puéril nombrilisme.
Nous sommes tout simplement du parti de la dignité et du parti de la fidélité. Je dirais donc :
provignement, oui ; dessouchement, non.”
Provigner, c’est “multiplier par provins”. Bien, mais encore, qu’est-ce qu’un provin ? C’est le “rejeton d’un cep de vigne qu’on couche en terre afin de lui faire prendre racine et qu’on sépare ensuite de la plante mère, afin d’avoir un nouveau cep” (Dictionnaire des mots rares et précieux, éditions 10/18).

Et maintenant, place aux ceps de musée !



********
* aux éditions Présence africaine. Ce discours-là est précédé d’un autre, Discours sur le colonialisme, dont nous vous recommandons chaudement la lecture…… ou la relecture.

28 juin 2008

Nous ouvrons ce palmarès par l’épineuse question des capitales accentuées : ne pas accentuer les capitales est une facilité, un pis-aller, ce n’est en aucune façon une “règle”. Cette non-accentuation vient de loin : du temps de la composition au plomb, ces caractères, forcément fragiles, se cassaient facilement. De plus, un accent, si haut placé, risquait d’aller chatouiller le bas d’une lettre de la ligne supérieure, ce qui était assez laid visuellement. D’où la grande envie de ne plus les utiliser, qu’elle soit théorisée ou non. La “marche” du Monde à ce propos est toute de compromis : la capitale initiale d’un mot en bas de casse ne sera pas accentuée, mais un mot tout en capitales le sera, en particulier dans les titres.

Quand l’auteur d’un papier intervient dans une phrase qu’il cite, pour y faire une coupe ou donner une précision sur un mot, par exemple, cette intervention extérieure doit être placée entre crochets, ce qui donne : […] pour une coupe. Mais, de plus en plus, des parenthèses remplacent ces crochets, ce qui crée une ambiguïté : lesdites parenthèses viennent-elles de l’auteur ou de la personne citée ?
Il n’est pas nécessaire que le passage entre crochets soit en typo “inverse” (en “romain” si la citation est en italique, ou l’inverse) : c’est pourtant ce que fait Le Monde, et c’est à notre avis redondant, car l’intervention “extérieure” est déjà signalée par les crochets.

La ponctuation qui suit un passage en italique n’est elle-même en italique que si elle appartient à ce passage. Exemple : “Avez-vous lu Les Mémoires d’un âne ?” Le “rog” ne doit pas être en italique. Les deux points qui annoncent une citation en italique n’ont aucune raison d’être eux-mêmes en italique.
Mais la typo n’a pas réponse à tout : si le titre du livre comporte lui-même un point d’interrogation et que la phrase est interrogative, faudra-t-il deux “rog”, un en italique et le second en romain ? Vous pouvez essayer avec le titre : Où roules-tu, petite pomme ?

Il existe en français de très nombreux symboles ou abréviations, et leur forme est figée : il en va ainsi pour kilomètre (km) ou kilo (kg). Ils sont invariables, de surcroît : alors pourquoi s’obstiner à leur donner la marque du pluriel ou les gratifier de capitales ? Donc, pas de kms, encore moins de KMS ou de Km.

Savez-vous qu’en plus des capitales, qui posent tant de problèmes aux “écrivants”, il existe aussi des “petites capitales” ? Elles ont la forme de capitales, mais la taille de lettres en bas de casse. Le Monde papier ne les utilise plus que dans un seul cas. Lequel, amis blogueurs ?

27 juin 2008

dscn1000.1214548597.JPG Au recto, deux personnages debout derrière une gerbe de fleurs débordant d’un guéridon ; l’homme de profil approche son visage de la femme en la regardant, la femme écarte buste et visage jouant la timide, mais les yeux en coin vers l’homme et lèvres fermées souriantes. Sous le guéridon, on peut lire en lettres d’imprimerie :

Vous êtes charmante et jolie,
Je vous adore à la folie.

Au verso, quelques lignes qui vont briser la belle ordonnance de ces deux vers :

Mademoiselle Emilie je prend la plume a la main pour vous renvoyait cette jolie petite carte pour la premiere fois j’espere que saserat pa la derniere car je pense avous toute les vois que je regarde se t image car dimanche jest trouvé la journée trè longue san vous voir j’espère que nous revéront avant que la semaine soit passe rienplus avous dire pour le moment votre bon amie qui vous revois mille baissé j’espere que qu’and vous me ferait rèponse vous ferait de mêne L F

******************
dans Parlez-moi d’amour… avec des fautes d’orthographe, d’Henri Joannis-Deberne, éditions Payot. L’auteur collectionne les cartes postales, et cet ouvrage est voulu comme “une flânerie au fil du jeu amoureux” dans la France des années 1900 et de la Grande Guerre.

25 juin 2008

Nous ne pensons pas que la question posée dans la note précédente soit du byzantinisme. Elle permet de revenir sur le rôle de la ponctuation dans la compréhension des textes (et même l’intercompréhension, comme le dit Rodolphe) : dire par calder_le_point_de_non_retour.1214398857.jpgexemple que dans le cas qui nous occupe le point peut être suivi du guillemet, c’est faire bon marché de la ponctuation générale d’un texte, pour ne plus se préoccuper que de la “locale” (celle interne à la phrase). Au Moyen Age, la fin d’un texte était indiquée par un mot ou une phrase, du genre “ici finit, etc.”
L’invention du “point final” a été un progrès. Le supprimer ou le relativiser n’ajoutera pas à la compréhension. Les exemples que nous avons donnés montrent plutôt que le point final serait en cours d’épuisement. Nous en voulons pour preuve que dans Le Monde (et beaucoup d’autres organes de presse) tous les papiers importants se finissent par une puce, qui semble prendre, subrepticement, la place du point final. Ces puces ne figurent d’ailleurs pas dans les versions Internet des mêmes papiers. Subrepticement, car cette évolution n’est théorisée nulle part. Nous pourrions faire un parallèle avec le cinéma, où le mot “fin” n’apparaît plus quand le film se termine.
Amis blogueurs, cette note (mais pas le thème) se termine et nous devons (à regret) y mettre le point final.

“Le Point de non-retour”, lithographie de Calder (1969).

24 juin 2008

bnf070.1214244047.jpgToute phrase, tout texte écrits ou imprimés (et a fortiori un article de presse), pour être considérés comme terminés, doivent se conclure par un “signe de clôture” : soit le point (qui marque forcément la fin d’une phrase) ; soit le point d’exclamation (clam, pour les typographes), le point d’interrogation (rog) ou les points de suspension (sus), qui ne sont d’ailleurs pas exclusivement “signes de clôture” car ils peuvent être internes à une phrase et ne sont pas, alors, suivis d’une majuscule.
Or il est fréquent que, dans la presse, non seulement des phrases, mais des paragraphes et même des articles se terminent par un guillemet (et parfois par une parenthèse, voire un crochet), et pas par un point.
N’importe quel numéro du Monde fourmille d’articles qui se terminent par le guillemet français fermant venant après un point. Dans le numéro daté 24 juin, le “papier” dont le titre commence par “Paris et Alger”, en page 4, le “ventre” de la page 9, et l’article en pied de la même page, le papier sur deux colonnes au centre de la page 10, ou celui sur Forsythe en page 24 (Culture), etc., lequel se termine ainsi :

Un trafic d’émotions proche de la façon dont le chorégraphe décrit Francis Bacon dans ses œuvres : “Un homme en train de vivre plusieurs événements en même temps. Un corps torturé.”

Nous sommes ici en opposition avec la “loi d’airain” à la fois typographique et syntaxique que nous avons énoncée plus haut, et que pourtant personne ne conteste. Faudrait-il plutôt ajouter un second point, qui viendrait clore, lui, l’ensemble de l’article, mais qui paraîtrait assez redondant? ou faire passer le point après le guillemet, privant ainsi la dernière phrase de sa propre fin ? Ou existe-t-il une autre solution ?
Amis blogueurs, vous avez la parole.

Question annexe : avez-vous remarqué à quel point la presse cite ? N’est-il pas plus facile de tendre un micro que de rédiger ?

Image : frontispice de l’édition originale de Pantagruel.

23 juin 2008

« Pour chercher le duende, il n’existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu’il brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, qu’il épuise, qu’il rejette toute la douce géométrie apprise, qu’il brise les styles, qu’il s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation, qu’il entraîne Goya, maître dans l’utilisation des gris, des argents et des roses de la meilleure peinture anglaise à peindre avec ses genoux et avec ses poings dans d’horribles noirs de bitume (…) » - dans Jeu et théorie du duende *, de Federico Garcia Lorca.

Impossible à définir est donc le duende, cet « esprit follet » qui viendrait instiller le trouble dans les demeures… et les esprits, prenant le rôle du « maître de la maison » :

dueño de la casa, devenu duen’ de.

Nous n’en dirons donc pas plus, rien de plus que ce souvenir du poète…. , une femme qui dansait : « Il y a des années, dans un concours de danse à Jerez de la Frontera, une vieille de quatre-vingts ans l’a emporté sur de belles femmes et des jeunes gens cambrés comme de l’eau, par le seul fait de lever les bras, relever la tête, et taper du pied sur la petite estrade, (…) la victoire devait revenir et elle est revenue à ce duende moribond qui laissait traîner par terre ses couteaux rouillés. »

* Editions Allia, traduction de Line Amselem, 63 pages, 3 €


la voix de La niña de los peines, citée par Lorca

21 juin 2008

Autant l’orthographe est un sujet de discussion passionné sur lequel tout le monde ou presque a un avis (et un terrain de choix pour la garrulité), autant la typo est une science discrète que même beaucoup de journalistes mettent un point d’honneur à ignorer. Comme il n’existe pas de traité typographique grand public, ledit public en est réduit à une formation “sur le tas”, et à faire sa religion en assimilant ce qu’il voit dans la presse (et dans les livres). Combien de lecteurs du Monde ont-il intégré que les citations, dans le quotidien “blanquiste”*, sont entre guillemets et en italiques, et que les titres d’article cités sont seulement entre guillemets mais pas en italiques ?
Nous vous présentons un petit mélange des erreurs typo les plus fréquentes, sans prétendre à l’exhaustivité.

A tout seigneur tout honneur, nous commencerons par Œdipe : nous savons qu’après avoir beaucoup fauté, le fils de Laïos et Jocaste a fini énucléé, mais est-ce une raison pour nous le présenter ainsi, quitte à nous casser les yeux : Oedipe ou OEdipe ? Il y a longtemps que cette “ligature” (majuscule ou minuscule – le “e dans l’o” n’est pas une lettre) aurait disparu de la presse si les secrétaires de rédaction et les correcteurs ne s’obstinaient à la rétablir. Nous pouvons témoigner que presque personne ne la tape spontanément (”alt” 0 140 pour la première, “alt” 0 156 pour la seconde, sur les PC).

Les espaces (qu’elles soient fines ou fortes) sont une des grandes conquêtes de la typo, et même de la civilisation. La tendance permanente est de les faire disparaître, ce qui est attentatoire au confort de lecture. Nous lirons ainsi 30% (au lieu de 30 %), 45°C (45 °C), ou encore 20h30 (20 h 30). Et que dire de 36523, nettement moins lisible que 36 523 ?

Le tiret (–), signe de ponctuation (alt 0 150), est supplanté par le trait d’union (-) signe grammatical, pour la simple raison que seul ce dernier figure sur les claviers d’ordinateur. Ce beau signe qui aère la ligne est ainsi supplanté par un moignon qui ne devrait servir que pour les mots composés et pour la liaison verbe-pronom.

Le tiret lui-même est à son tour supplanté par l’horrible “barre oblique” (ou “slash”), notamment pour les matches de jeu de balle (Turquie/Croatie, au lieu de Turquie-Croatie).

Le petit signe qui sert à marquer le degré (°) supplante subrepticement le “o” mis en exposant pour abréger “numéro”, ce qui donne n° au lieu de no. Il est vrai que cette faute n’est que vénielle.

Autre “faute” vénielle (et nous sommes sûrs que nous allons en surprendre plus d’un) : il n’est pas nécessaire, quand on veut se servir des points de suspension, de taper trois points à la file : le signe existe (alt 0 133).

Ce top 10, n’étant pas fini, aura une suite, mais auparavant il faudra passer par la case “casse-tête” typo !

* Pas de mauvaise interprétation : “blanquiste” parce que sis boulevard Blanqui, à Paris.

20 juin 2008

sittingbull.1213944741.jpgIl arrive que se glisse dans une « manifestation non violente consistant à s’asseoir en groupe sur la voie publique ou dans un lieu public »* – autrement dit, un sit-in –, il arrive donc que s’y glisse un taureau. La main écrit ce que l’oreille croit entendre, persistance des chants indiens……

* dans le Petit Larousse
***********
en photo : Sitting Bull

19 juin 2008

Nous terminons notre “top ten”, qui n’est ni exhaustif ni classé selon la fréquence, par une erreur de ponctuation, la plus répandue, peut-être, dans la presse écrite. Voici le début d’un petit écho dans Libération du 17 juin :
“Le constructeur japonais, Honda, a dévoilé hier son premier modèle commercial de voiture à batterie à combustible […]”.
En mettant “Honda” entre deux virgules, on crée une incidente “explicative” (grammaticalement parlant) et cela implique qu’il n’y a qu’un seul constructeur auto au Japon : Honda. Et Toyota, alors ? Il fallait écrire, plus sobrement (en faisant donc l’économie de deux virgules) : “Le constructeur japonais Honda a dévoilé”, etc.
Notons qu’à l’oral, la version “explicative” sera marquée par une légère pause à “Honda”, alors que la version sans virgule se dira d’une traite.
L’erreur opposée est également fréquente : ne pas mettre de virgules là où il en faudrait et se rendre donc coupable de créer une “restrictive” là où il faudrait une incidente explicative. Exemple : “Le président Sarkozy est venu avec son épouse Carla qui portait un beau chapeau”, etc. Ne pas mettre de virgules autour de “Carla” (incidente explicative), c’est laisser entendre que son époux de président est polygame et se laisser aller à la restrictivité (grammaticale).
Il va sans dire que ces différences sont infinitésimales, et que l’ambiguïté est peu marquée (et même un peu exagérée par nous : que Carla nous excuse). Mais en plaçant mal ses virgules on embarque le lecteur, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, sur des fausses pistes.

Faisons le grand écart, et passons à l’écriture non journalistique. Depuis plusieurs années, les lecteurs abonnés peuvent ajouter un commentaire aux articles du Monde papier, commentaires qui sont publiés par le Monde.fr et dont certains se retrouvent en “une” du site (colonne centrale, sous les blogs). Ces réactions sont publiées “dans leur jus”, sans correction ni réécriture (mais elles sont modérées). La grande majorité fourmille de fautes diverses, orthographiques, typographiques, syntaxiques (sans compter les fautes de goût). Nous nous contentons de le constater, loin de nous l’idée de galéjer.
En voici un, paru le 18 juin, et qui vient à la suite d’un papier sur le foot, l’Euro*, la pub et les droits télé, “ht” étant la signature :

ht
18.06.08 | 14h15
je crois que je vais pleurer sur leur sort…. à moins que ces chaines ne se rattrapent sur le dos de la suppression de la pub sur la télé publique l’année prochaine? Non finalement je crois qu’elles sont à plaindre. Donc, histoire d’assumer ses responsabilité, l’entraineur pourrait peut être épouser sa dulcinée devant les caméras ? Ca peut ameuter les annonceurs ça non ?

Cet exemple se situe dans une bonne moyenne. Nous y voyons 6 fautes incontestables, et même plusieurs autres, ortho et typo. Elles rendent la lecture un peu malaisée. Si tous les journaux étaient publiés ainsi, il faudrait deux fois plus de temps pour les lire. Saurez-vous les trouver ?

* heureusement, le dénouement est vite arrivé.

18 juin 2008

Ce petit bouquin de 210 pages ne vient pas vraiment de sortir (publié outre-Manche en 2003), mais nous n’y avions pas encore jeté un œil – “3 millions d’exemplaires dans le monde”, comme il est annoncé en capitales rouges sur la couverture, ça fait peur -, bien qu’il ait été cité dans un commentaire de cette note le 11 février 2005 à 10 h 56 par un Anonyme. Ces histoires d’errements de la ponctuation à l’anglaise sont assez réjouissantes.

apostrophe.1213774494.jpg On y lit donc ce fait divers animalier bien connu à présent : un panda entre dans un café, y commande un sandwich, l’engloutit, puis sort un fusil et se met à tirer deux coups en l’air. “Mais qu’est-ce qui vous prend ?”, lui demande le garçon alors que l’animal se dirige vers la sortie. Et le panda sort (de sa poche ?) un livre sur la faune sauvage qu’il jette par-dessus son épaule : “Eh bien quoi, je suis un panda ! Regardez ça.”
Le garçon ouvre alors l’ouvrage et lit ceci :
Panda. Large black-and-white bear-like mammal, native to China. Eats, shoots and leaves. (Panda. Mammifère noir et blanc ressemblant à l’ours, originaire de Chine. Il mange, tire et s’en va).
Une virgule intempestive et – parfois – c’est le drame.

Autre exemple donné par l’auteure de l’ouvrage, au sujet cette fois des mésaventures de l’apostrophe en anglais : au cours d’une balade dans les rues de New York, Lynne Truss tombe sur cette affichette collée sur un mur : Nigger’s out. Elle ajoute que sous cette phrase énigmatique (le nègre est sorti), une main attentive avait ajouté : “But he’ll be back shortly” (mais il sera bientôt de retour). Eh oui, si l’on veut conseiller aux nègres d’aller voir ailleurs (niggers out), mieux vaut maîtriser l’usage de quelques signes.

On ne le dira jamais assez : relisez vos banderoles !