J’ai toujours eu du mal à me faire à Facebook: je n’y poste que très rarement, et visite encore moins les pages qui y sont. Je préfère de loin les blogs, Twitter ou Netvibes pour m’informer. Le taux de déchet sur Facebook m’impressionne particulièrement: entre la collègue de travail dont les uniques messages sont liés à une sorte de jeu impliquant des oeufs et une ferme, et l’ami respecté, militant des droits de l’homme, qui m’envoie des photos de chatons, le rapport qualitatatif n’y est pas pour ma part.
Depuis quelques semaines, je suis matraqué d’invitations d’amis facebookiens, que je ne connais bien évidemment ni d’Eve ni d’Adam, m’enjoignant de rejoindre des groupes athées. A titre de comparaison, les messages de prosélytisme musulman que j’ai reçus depuis que je suis sur FB se comptent sur les doigt d’une main. Il faut croire que les athées marocains ont un retard à rattraper en matière de prosélytisme, ce qui n’est pas faux quantativement parlant.
Mais en tombant sur ce post de Jillian York sur Global Voices Advocacy j’en suis tombé de ma chaise: « Facebook Removes Moroccan Secularist Group and its Founder« :
Moroccan activist Kacem El Ghazzali was recently subjected to Facebook’s TOS when a group he had created, entitled “Jeunes pour la séparation entre Religion et Enseignement” (youth for the separation between religion and education), was promptly removed. El Ghazzali emailed Facebook, but received no response. Two days later, his personal account had been deleted from Facebook as well (the movement also has a blog, hosted on Blogger). He says that while the group was live, he received emails from Muslims who opposed the group, as well as other groups he had created.
Jillian se demande si ce ne serait pas après intervention des autorités sécuritaires marocaines (« Was it under pressure from another country’s government« ) ou si ce serait plutôt après pression de facebookeurs opposés à ce groupe. Je penche du côté de la dernière alternative. Tout d’abord, il y a bien d’autres groupes marocains sur Facebook athées, et certains Facebookeurs marocains parmi les plus suivis le revendiquent ouvertement. Je ne vois donc pas de raison que ce groupe et ce Facebookeur soient plus exposés au courroux des sécuritaires marocains que ceux-là. D’autre part, ce n’est pas tant l’athéisme ou l’irreligion en tant que tels qui gênent les décideurs marocains – ne serait-ce que parce qu’il y en a sans doute aussi parmi eux – que les conséquences des manifestations publiques de l’athéisme ou de l’irreligion, les craintes étant que cela provoque des violences de la part d’islamistes.
On affirme souvent qu’Internet et les différents réseaux sociaux qui reposent sur lui sont des espaces de liberté – Ethan Zuckerman, co-fondateur de Global Voices, est le premier à la faire - mais outre les censures étatiques et la collecte systématique de renseignements par des services sécuritaires, on est également confronté à la censure privée, même si le terme paraît impropre, car après tout, contrairement à la censure étatique, celui qui ne peut s’exprimer sur Facebook peut le faire ailleurs, comme l’a fait Kacem el Ghezzali avec son blog. De par leur poids en termes d’utilisateurs, les hébergeurs gratuits de blogs ou de courrier électroniques ou les réseaux sociaux ont cependant de facto un poids important sur ce qui peut être dit et diffusé sur Internet. Et il ne s’agit pas de censure au sens propre du terme, puisque c’est par le truchement d’instruments contractuels et non par des mesures de police ou judiciaires que des restrictions sont apportées à ce qu’écrivent particuliers, bloggeurs ou facebookeurs. Néanmoins, de par leur poids, ces sites peuvent, en excluant des utilisateurs, les exiler vers des lieux moins fréquentés d’Internet, ou vers des sites beaucoup moins fréquentés, ce qui est particulièrement génant pour des militants comme Kacem. C’est un peu comme ces petits candidats et petits partis, exclus des grands médias et qui doivent se contenter de leurs tracts ou de leur demi-heure hebdomadaire sur une radio associative écoutée de personne. Comme le soulignent Jillian (« The Risk of Facebook Activism in the New Arab Public Sphere« ) et The Arabist (« Facebook and Middle Eastern politics« ), si Facebook est un instrument à la disposition des militants dans le monde arabe, il est à double tranchant.
Dans le cas présent, si Kacem el Ghezzali et son groupe sur la séparation entre religion et enseignement au Maroc ont été effacés de Facebook, c’est par l’effet des conditions générales de ce dernier, ou plutôt la « Déclaration des droits et responsabilités« . On peut présumer que des Facebookeurs aigris à l’idée qu’on ne pense pas comme eux se soient plaints à Facebooks sur la base des dispostions du type « Vous ne publierez pas de contenu incitant à la haine, pornographique, ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite » ou « Vous n’utiliserez pas Facebook dans un but d’activité illicite, illégale, malveillante ou discriminatoire » – ce type de dispositions a un champ d’application potentiel tellement vaste qu’il correspond à ce qu’on appelle en suédois « gummiparagrafer » – « paragraphes en caoutchouc » tellement ils sont extensibles. Si la déclaration Facebook évoque des possibilités de recours pour les titulaires de pages ayant fait l’objet d’une résiliation unilatérale, on peut imaginer que cela n’offre aucune garantie sérieuse puisque ces recours seraient de toute façon internes à Facebook. Et puis d’ailleurs, les particuliers ne paient rien pour avoir une page sur Facebook – il va de soi que l’on est plus à la merci de résiliations arbitraires dans ce cas que dans le cas de services payants, plus susceptibles d’amener à une contestation judiciaire.
L’autoritarisme n’est pas seulement dans les rapports politiques, mais aussi – surtout? – dans les rapports de consommation.