Archives de juin, 2006

30 juin 2006

Entendu dans le métro parisien : la raréfaction des grillons dans cet endroit chaud serait due au changement des ballasts (moins de cailloux, alors les grillons, à découvert, deviennent la proie des souris et des rats) et à l’interdiction de fumer, qui les affame (ces chanteurs semblaient apprécier les mégots).

Rien n’est simple, dans le tabac : ni l’origine du mot*, ni les rapports que les humains ont entretenus avec lui. Tantôt jugé souverain contre les maux de tête, les aphtes ou les cors aux pieds ; tantôt brandi comme cause d’excommunication (par le pape Urbain VIII, qui en menaça les prêtres qui fumaient et prisaient pendant le service. Insupportable, ce bruit de râpe à tabac :-(

Et pour y revenir et finir avec les cri-cris, cette histoire cueillie dans Tristes tropiques (de Claude Lévi-Strauss), elle se passe au Brésil :

(…) après une nuit passée dans un des hangars, je constatai que ma ceinture de cuir avait été rongée par les grillons. Jamais je n’avais subi les méfaits de ces insectes restés inaperçus dans toutes les tribus dont j’avais partagé l’existence (…). Et c’était chez les Tupi que j’étais destiné à vivre une mésaventure qu’avaient déjà connue Yves d’Evreux et Jean de Léry, quatre cents ans avant moi : "Et à fin aussi que, tout d’un fil, je descrive ces bestioles… n’étant pas plus grosses que nos grillets, mesmes sortans ainsi la nuict par troupes auprès du feu, si elles trouvent quelque chose elles ne faudront point le ronger. Mais principalement outre ce qu’elles se jettoyent de telle façon sur les collets et souliers de maroquins, que mangeans tout le dessus, ceux qui en avoyent, les trouvoyent le matin à leur lever tous blancs et effleurez".”

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* On dit qu’il vient de l’espagnol tabaco, une déformation de tsibatl : dans la langue des Indiens Arouaks d’Haïti, le terme désignait le tuyau en roseau permettant d’aspirer la fumée. Autre hypothèse, tabac serait venu de l’arabe tabbâq ou tubbâq, un nom donné à des plantes médicinales que l’on fumait, certaines ayant des effets so… po…….ri………….fiqueeeeesssss

Jean Nicot (1530-1600), ambassadeur de France auprès du Portugal, et qui œuvra pour introduire la plante dans le royaume, raconta cette scène : un cuisinier de l’ambassade s’était coupé avec un couteau ; on lui fit alors un emplâtre de feuilles de tabac qui fit merveille.

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Dans cette note, demain c’est aujourd’hui… elle a filé entre mes doigts - MR

29 juin 2006

Le sens premier d’être sous la coupe et tailler des croupières (note démotivées ! du 27 juin) n’a pas désarçonné les commentateurs.
La première expression relève bien du jeu de cartes. On est sous la coupe quand on est le premier à jouer après la coupe des cartes, comme Leveto l’a précisé.
La seconde relève de l’ « art » de la guerre : si un corps de cavalerie ennemi bat en retraite, comment pousser son avantage et la transformer en déroute ? La croupière étant une lanière qui passe sur la croupe du cheval et qui stabilise la selle, en cas de débandade (se débander = rompre les rangs) de cavaliers, il s’agissait de les pourchasser en les sabrant. Couper sa croupière déstabilisait le cavalier et pouvait le faire choir.
Poursuivre l’ennemi l’épée dans les reins signifie presque exactement la même chose. Les déconfitures (mot médiéval pour désastre d’une armée) occasionnaient, en général, bien plus de pertes que les batailles elles-mêmes.
Il va de soi qu’il n’était pas possible de tailler des croupières à des cavaliers sans selle, qui montaient donc à poil ou à cru !

28 juin 2006

M. Jacques à l’Elysée, M. Dominique à Matignon, ça vous a un petit côté anna, annana, annamite cette familiarité. Quand on nomme le nouveau président vietnamien, Nguyen Minh Triet, doit-on dire M. Triet ? M. Minh ? M. Nguyen ? A la sauce française, c’est M. Nguyen (le patronyme), mais à la vietnamienne ce sera M. Triet (un morceau du prénom Minh Triet, quelque chose comme “brillant philosophe” ou “philosophe éclairé”). Recommençons l’exercice avec le nouveau premier ministre : Nguyen Tan Dung. Pour Nguyen, vous avez compris, prénom : Tan Dung, “avancer avec force”, et voilà M. Dung.

Tant de Nguyen au Vietnam…, alors pleins feux sur le prénom.

Merci à “M. Kim”, confectionneur de bòbún et amateur de maths…

27 juin 2006

La LCR vient d’annoncer qu’elle présentait Olivier Besancenot à la présidentielle. Selon un responsable de cette formation, cité par Libération, O. B. serait "un bon produit d’appel". Cette expression nous a plongés dans la perplexité : comment peut-on être à la fois facteur et produit ? La direction de la Ligue a précisé que le préposé était son "candidat naturel", sans adjonction de conservateur, donc. Nous voilà rassurés.

démotivées !

Voici deux expressions relativement courantes dont il est permis de dire qu’elles sont démotivées (car leur sens premier s’est perdu au fil du temps – et même au fil de l’épée) : tailler des croupières à quelqu’un, et être sous la coupe de quelqu’un (pas de majuscule à coupe). La première peut se comprendre comme mettre à mal ou susciter des difficultés, la seconde, comme être sous l’emprise ou sous l’influence d’une personne. Mais quel était leur sens premier (comme on dit quai Branly) ?
Quelques précisions : la croupière n’est pas la femme du croupier. Et la coupe dont il est question ne s’effectue pas avec un objet tranchant.

26 juin 2006

Cloporte Soulevez juste un pot de fleurs qu’on avait laissé tranquille dans un jardin, et vous les verrez grouiller, les cloportes. Ces crustacés (un beau plateau de cloportes au restaurant serait d’un bel effet) aiment les endroits sombres et humides. "Certains se roulent en boule quand ils sont effrayés" (Petit Larousse illustré 1906) – d’où le sens argotique de “lâche” adopté par le mot.

Les bestioles semblent alors fermer leur porte (clôt-porte). Aussi a-t-on nommé cloporte (ou bignole, selon les goûts) ces préposés à la surveillance de la porte d’immeuble : les concierges, qu’on imaginait tapis dans la carapace de leur loge.

Le latin cloppus, boiteux, peut avoir interféré dans la naissance de “cloporte”. Etrange, quand on le voit détaler pleins gaz.

* De bigner : espionner.

25 juin 2006

La belle Cécilia, qui avait mis l’Atlantique entre elle et son époux (et qui avait fait, avec le nouvel élu de son cœur, la couverture de Paris Match en août 2005), a fini par regagner la couche nuptiale – ainsi que son bureau place Beauvau (retour officialisé par une nouvelle couverture, de VSD cette fois – mais avec une photo datant manifestement d’ « avant » son échappée). Voilà donc qu’elle reprend le joug conjugal. Ces deux derniers mots sont d’ailleurs une redondance, si l’on en croit l’étymologie : deux êtres « unis par le mariage » (conjuncti, en latin, c’est-à-dire soumis au même joug, jugum), sont un peu comparables à un « attelage de bêtes de trait ».
De bœufs, par exemple ; mais n’est-ce pas normal, place Beauvau ?

23 juin 2006

Quelle bonne idée il a eue ce paysan d’Artière, près de Riom (Auvergne), quand il donna un bon coup de bêche dans son champ en 1756, car c’est ainsi qu’on le découvrit : un garçon de 10 à 14 ans, enveloppé de bandelettes recouvertes d’une peinture rouge et protégées par des linges qu’on avait trempés dans du goudron afin de les préserver de l’humidité. Quand le cercueil en plomb qui avait recueilli le tout fut ouvert, il s’en était dégagé une suave odeur de résine et de poudres aromatiques. Un apothicaire de Clermont analysa le baume qui avait servi à traiter le corps : c’était soit du bitume de Judée, soit du pissasphalte (mélange de poix et d’asphalte). Il fut supposé que le garçon faisait partie de l’aristocratie gallo-romaine.

Sans doute ne la verrez-vous pas cette momie* si vous allez au musée des arts primitifs-premiers-lointains-des arts et de l’Homme réunis. Cette visite vous était donc offerte par le département ethnographique de LSP, grâce à l’aide précieuse de Trésors méconnus du Musée de l’Homme** (Le Cherche Midi éditeur, 1999).

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* De l’arabe moûmya, substance pour embaumer les morts. Venu du persan mûm, la cire.

** Il était précisé en Avertissement dans ce livre : “Dans les très riches réserves du Musée de l’Homme, de nombreux objets sont conservés qui demeurent inconnus du public. Cet ouvrage en propose une exposition imaginaire. Il révèle ainsi leur caractère insolite et le sens caché que leur beauté a parfois fait oublier.” La momie auvergnate était de ces réserves, arrivée au Musée de l’Homme en 1937.

 

22 juin 2006

« Démiurge » ! on ne lésine pas sur les mots, à Libé, quand on parle de son patron ! (cf Le Monde daté 16 juin, sous le titre « Citizen July »). Le demiourgos, en grec ancien, est « celui qui travaille pour le public » (par opposition à celui qui ne travaille que pour sa propre consommation). Chez Homère, le devin, l’artisan, le médecin, sont des démiurges. Puis le mot s’est spécialisé en « créateur » (avec ou sans majuscule), et c’est sous ce sens qu’il a été intégré au vocabulaire français au début du XIXe siècle. Pour les philosophes néo-platoniciens, le Démiurge désignait le « créateur de toute chose », l’ « architecte du monde ». Bien qu’il ne fût que l’architecte de Libération, voilà donc le beau Serge hissé au panthéon, la compagnie de tous les dieux. Hélas, celle-ci n’était qu’en contrat à durée déterminée et il vient d’en être chassé par le principal actionnaire de son journal.
Dure est la loi du capital ! Cette nouvelle religion n’offre pas de lots de consolation : nulle épiphanie ni théophanie, pas la moindre assomption ni réincarnation, aucun zeste de béatitude ni de félicité : tout juste Citizen July pourra-t-il prétendre à une indemnité.

* Brèves d’actu *
Toujours plus de scatologie en Ukraine ! La « princesse du gaz » (surnom donné à Ioulia Timotchenko) de nouveau au cabinet !

Delanoë rebaptise le parvis de Notre-Dame en « place Jean Paul II ». Après la mule du pape, voici l’émule du pape !

21 juin 2006

Pour faire savoir que trop, c’est trop, qu’on est arrivé à saturation, faut-il dire la coupe est pleine ou la cour est pleine ? Les deux expressions signifient la même chose, mais la seconde est incomplète. La première indique qu’un récipient va déborder si l’on y ajoute du liquide – image de trop-plein : le tonneau risque de lâcher la bonde. La seconde, bien plus tardive, serait une expression de chanteurs de rues (et de cours) qui criaient n’en jetez plus, la cour est pleine ! pour inciter plaisamment leurs auditeurs à leur jeter une obole par la fenêtre en guise de rétribution. Elle doit donc se comprendre par antiphrase, la saturation étant souhaitée, même si rarement atteinte. Il va sans dire qu’il faut éviter : n’en jetez plus, la coupe est pleine, qui n’a pas grand sens.
Quant à la majuscule du titre de cette note, elle ne s’y trouve pas par hasard : courage, plus que trois semaines en ballon !